Un ami prêtre m’a demandé de mettre par écrit les réflexions dont je
lui faisais part concernant le caractère, à mes yeux, aisément résistible, des
attaques rationalistes qui peuvent être portées contre la foi à partir des
explications scientifiques du religieux comme celle de René Girard ou des critiques
radicales de la Bible telles que, par exemple, la lecture littérale qu’en réalise
Mauro Biglino.
Le premier propose, en effet, un modèle évolutionniste de la genèse de
l’humain par l’invention « naturelle » chez des primates
protohominiens d’une culture sacrificielle, donc de pratiques et de
représentations religieuses renvoyant au sacré.
Le second, lassé de traduire la Bible sur la base d’interprétations
théologiques très éloignées du texte original, en est venu à une lecture
littérale qui fait apparaître un tout autre sens que celui qui nous est
généralement offert. En s’en tenant à la lettre du texte hébreu, il met à jour
ce qu’il tient avant tout pour un récit qui ne traite pas de l’origine du monde
par une création ex nihilo et qui ne
revêt, selon lui, aucun caractère sacré dans la mesure où, par exemple, Yahvé y
est présenté comme un personnage concret qui foule le sol en compagnie de ses « anges »
et qui, comme ces derniers, est susceptible d’être fatigué et d’avoir faim avec,
notamment les pieds salis par sa marche (Genèse 18)
Je ne saurais dire ce qui est le plus scandaleux pour des croyants même
si la thèse de René Girard est, à l’évidence, passée comme une fleur auprès de
ces derniers tant sont nombreux les théologiens qui se sont intéressés à ses
idées. Il faut dire que cet auteur affichait une solide foi catholique et avait
même postulé l’inspiration surnaturelle de Jésus tant la clairvoyance de ce
dernier quant aux ressorts cachés de la violence lui apparaissait surhumaine.
Il n’est pas nécessaire de resituer ici la théorie de René Girard. Je
renvoie pour cela le lecteur à mes deux précédents articles. Il s’agit
seulement de souligner la difficulté théologique qu’amène cette hypothèse du
fait qu’elle propose une invention « naturelle » du religieux et de
la croyance au divin au sein de protohominiens passant, pour cette raison même,
du stade animal au stade humain.
Il y a là quelque chose qui pourrait sembler dévastateur pour la foi
dans la mesure où la religion se trouve « naturalisée » — sans
besoin d’aucune spiritualité, d’aucune entité surnaturelle pour en
comprendre l’origine. Selon René Girard, en effet, le religieux provient de
pratiques sacrificielles apparues comme solution à la violence qui se répand au
sein des groupes protohominiens par simple contagion mimétique — suite à
l’augmentions constante des capacités mimétiques au sein de la lignée des
primates hominidés. Cette violence intestine qui peut amener le groupe à l’autodestruction
se serait trouvée, en quelque sorte, évacuée, drainée, expulsée vers le sacré
par la mise à mort d’un individu contre lequel tous se rassemblent, se retrouvant,
de ce fait même, en paix. L’individu ainsi sacrifié est perçu comme ayant amené,
vivant, la mort de la communauté et, mort, la résurrection d’icelle. Il va alors
passer pour un être transcendant la vie et la mort, un être ressortissant au
divin et venu visiter le groupe pour le punir autant que pour le sauver par un
sacrifice dont il est tenu pour entièrement responsable.
Loin qu’une telle conception doive anéantir la foi en un au-delà céleste,
elle peut au contraire y (r)amener comme cela a été le cas pour René Girard
car, tout bien considéré, il n’y a rien de trop surprenant à ce qu’une représentation
d’origine humaine corresponde à une réalité de nature surhumaine : n’a-t-on pas
déjà constaté une sorte de miraculeuse correspondance entre la pensée
mathématique et la réalité physique ? Quand on y réfléchit, la coïncidence (à
un nombre extravagant de décimales près) entre les calculs théoriques et les
observations expérimentales de la physique fondamentale ne peut pas ne pas
donner le vertige. Comment se fait-il que des abstractions mathématiques
élaborées hors contexte en pur produit de l’esprit humain, puissent, après coup,
si bien correspondre à une réalité physique jusqu’alors inconnue ?
Une fois cette correspondance tellement improbable admise comme un fait
objectif de l’histoire de la pensée scientifique, rien ne peut alors être sérieusement
objecté à l’idée que l’homme ait pu concevoir une représentation religieuse du
monde présentant elle aussi une correspondance « miraculeuse » avec
une réalité métaphysique qui aura été, non pas « inventée » mais
seulement atteinte, rejointe, dévoilée. Le croyant n’a ainsi rien à craindre
des thèses girardiennes et, tout au contraire, armés de celles-ci, il peut
allègrement affronter ses alternatives scientistes, comme les prétendues
réfutations du sacré biblique avancées par Mauro Biglino.
En effet, quand bien même il nous faudrait convenir que les divagations
« naturalisantes » de cet auteur sont fondées, quand bien même des
extraterrestres seraient bel et bien venus occuper la terre avant les temps
historiques afin d’y installer une haute civilisation depuis disparue — celle-ci
aurait aussi très bien pu être d’origine terrestre et correspondre à
l’Atlantide, comme le défend avec force arguments Graham Hancock qui, lui, ne
croit pas à l’hypothèse extra-terrestre — cela n’affecte aucunement la
thèse monothéiste étant donné que les premières cultures humaines ont toutes
été religieuses au sens girardien, « naturalisé » et scientifique du
terme, c’est-à-dire, articulées autour de pratiques sacrificielles au service
d’une réconciliation violente dont, par ailleurs, les hommes ont
progressivement appris à se dégager au sens où l’évolution des rites s’est
toujours faite en direction d’une moindre violence.
Ce phénomène d’adoucissement des pratiques est d’une telle généralité qu’on
pourrait très bien penser l’humanité prise dans ce qu’en théorie dynamique on appelle
un « attracteur » — dans lequel les chrétiens pourraient sans
doute repérer l’œuvre du Saint Esprit — guidant les hommes vers la paix de
sorte que, quelle que soit les péripéties plus ou moins exotiques de leur
genèse, tout semble s’être passé comme s’ils ne pouvaient pas ne pas progresser
sur la voie de l’harmonie jusqu’à découvrir le principe de la réconciliation
non violente que seul permet le sacrifice de soi. Parcours dont la trajectoire
christique offre un modèle tout à la fois accompli et indépassable.
Autrement dit, peu importe le processus
historique exact au travers duquel le Décalogue nous est parvenu. Peu importe
que nous n’ayons pas de certitude scientifique quant à l’identité et/ou la
nature des messagers, sans même parler de la lettre du message lui-même [1]. Ce qui
importe c’est le sens du message qui nous a été ainsi adressé et qui nous
enjoint clairement d’établir une alliance spirituelle avec le Ciel si nous
souhaitons vivre en harmonie avec nos semblables.
Que les homo sapiens soient issus de la sélection naturelle,
qu’ils aient pu voir leur trajectoire influencée par une rencontre du troisième
type ou que, par quelqu’accident extraordinaire de l’histoire, une civilisation
terrestre ait pu évoluer de manière fulgurante et engendrer à la fin du
paléolithique des technologies dépassant largement celles des peuplades environnantes
voire les nôtres, tout cela n’a pas à nous préoccuper outre mesure car même si ces
faits devaient avoir impacté les récits de nos textes sacrés, ce qui importe,
encore une fois, c’est le travail de construction de sens qui s’est opéré au
cours de l’histoire [2] et qui a
permis au juriste à qui Jésus demandait de formuler l’essence même de la loi de
lui répondre ceci : « Tu
aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta
force, et de toute ta pensée; et ton prochain comme toi-même. »
Celui qui extrait des diamants d’une roche ne se soucie pas de savoir
si l’histoire géologique de cette dernière est conforme à la doxa. Peu importe
l’origine de la vase sur laquelle s’épanouit la fleur de lotus. Peu importe
qu’il puisse y avoir des controverses quant à la nature exacte du récit qui
nous est fait dans la Genèse dès lors qu’il réalise l’objectif de donner aux
humains le moyen de comprendre et leur origine violente et la nécessité de
s’engager sur la voie de l’Amour, non pas seulement pour vivre en paix ici-bas,
mais aussi, pour accueillir la réalité transcendantale qui constitue l’alpha et
l’oméga de notre destinée. Bref, on pourrait considérer en somme que le message
céleste est authentifié non par son origine factuelle mais par sa finalité.
En conséquence, certaines vérités
d’Evangile ont beau présenter toutes les similitudes que l’on voudra avec les
mythes de religions préchrétiennes et, notamment, ceux de l’Egypte ancienne,
toute tentative pour les décrédibiliser [3]
par ce biais est vaine. Le fait que les anciens aient, durant des millénaires, perçu
dans les mouvements de l’astre solaire une forme de mort puis de renaissance au
moment de l’équinoxe d’hiver et que des aspects formels de cette mythologie puissent
être repérés dans le récit de la Passion ne peut aucunement saper la
vérité de ce dernier. Selon un ami prêtre et physicien de formation, ces
homologies renvoient à ce que les théologiens appellent les « graines de l’esprit », ce que je
comprends comme les précurseurs historiques des formes accomplies de la spiritualité
contemporaine.
D’un point de vue laïque, on pourrait y voir l’expression en contexte
religieux du phénomène des « résonances morphiques » étudiées par le
scientifique Rupert Sheldrake ou tout simplement la manifestation de l’ordre
intrinsèque aux dynamiques du chaos au sein desquelles l’autosimilarité joue un
rôle de premier plan, non seulement dans l’espace mais dans le temps, vérifiant
ainsi la conjecture de Charles Sanders Pierce selon lequel, sous-jacente aux autres
lois (de l’univers), on trouve « la tendance fondamentale de toute chose à
former des habitudes » — et donc à s’inscrire dans la répétition.
CQFD.
Les graines de l’esprit seraient, en quelque sorte, les prémices de
conceptions en cours de formation. Par conséquent, il serait vain de les considérer
sous le seul angle des circonstances qui les ont vu naître tout comme il n’y a
pas à se soucier du fait que la main de l’homme soit d’abord apparue chez les
singes. Cela ne rend aucunement le premier réductible à ces derniers. Aussi
déterminante qu’elle soit, la structure passée ne vaut que par le sens présent que
le contexte actuel fait émerger.
Ainsi, à l’opposé de la perspective littérale d’un Mauro Biglino, on
peut et doit défendre l’idée que ce qui importe ne relève pas du seul signifiant
(la lettre) mais procède avant tout du signifié, du sens que la
théologie cherche justement à nous communiquer. C’est le vieux débat de la
lettre et de l’esprit que, pour autant que je sache, ce dernier a gagné haut la
main du fait même que la lettre nécessitera toujours une herméneutique pour intégrer
l’esprit du temps, qui passe et lui devient rapidement étranger.
Quoi qu’il en soit, si les graines de l’esprit sont bien à considérer
comme des ébauches de formes plus accomplies et que, par ailleurs, nous n’avons
pas l’assurance que le présent soit le but, l’aboutissement ou le point final de
la transformation dont les premières témoignent, force est alors de se demander
ce qui, au-delà du temps, se trouve être la cause de « ces choses »,
le moteur, l’« attracteur » qui préside à leur destinée en guidant la
dynamique évolutive, en attirant les hommes à lui. On pense, bien sûr, au
Christ qui, dans la tradition chrétienne est vu comme l’alpha et l’oméga, comme
l’origine et la fin de toutes choses.
Mais comment rendre une telle perspective intelligible pour l’homme du
commun que la doxa rationaliste et scientiste a rendu hostile à l’idée même de
croire ?
C’est là où la thèse scientifique, évolutionniste de René Girard manifeste
toute sa puissance et sa pertinence. Avec ce maître à penser, nous découvrons
que la conscience qui fait le propre de l’homme naît « naturellement »
via le sacrifice, lequel engendre la langue du sacré, le Logos qui structure le
fond archaïque des cultures comme de la pensée humaine avec, notamment la
conception universelle du divin et de l’humain organisée en quadriparti :
les dieux et les cieux au-dessus, les mortels et la terre en dessous.
En effet, une fois le sacrifice
accompli — par une
canalisation mimétique, mécanique
et, au moins à l’origine, inconsciente de la violence du tous contre tous [4]
en une violence de tous contre un —
lorsque le groupe se trouve soudain en paix, rassemblé devant un être qui,
vivant, semait la division, le conflit, en amenant la mort du groupe et qui,
mort, ramène la paix et le salut, les participants, saisis par ce contraste
sidérant, ne pouvaient pas ne pas se forger, aussi confusément que ce soit au
début — puis de plus
en plus clairement par la suite, à force de répétition rituelle — la conscience d’une
« chose », d’une « cause » qui, transcendant la vie et la
mort, avait proprement « agi » le groupe de l’intérieur pour
rejoindre ensuite le lieu tabou, car infiniment dangereux, d’où elle s’origine,
le sacré ; espace au sein duquel les hommes, par le sacrifice justement,
se sont ouvert un domaine propre, une clairière, où ils habitent et dont
l’envahissement par la violence sera perçu comme un châtiment divin que seule
la pire et la meilleure des choses, le sacrifice, toujours lui, est susceptible
de conjurer.
Cette réconciliation violente que
le sacrifice opère et qui constitue sa raison d’être s’accomplit par le
transfert de toute la responsabilité du processus sur la seule
« victime », sur le sacrifié, tout à la fois monstre coupable et
saint sauveur qui, en tant qu’il est perçu comme le seul agent, rend de ce fait
même la foule des persécuteurs innocente de tout agissement. Au cœur de
« ces choses cachées depuis la fondation du monde », on trouve donc le
mensonge, le mythe que constitue le récit de persécuteurs se percevant comme
« victimes » d’un visiteur surnaturel venu les punir pour leurs
fautes mais aussi les sauver par son sacrifice volontaire.
Si nous considérons avec Girard que
là se situe le point alpha de l’humanité, alors, ipso facto, nous savons aussi
où se situe le point oméga puisque, comme l’a si bien formulé Hölderlin,
« là où gît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Dans un monde où
domine « la tendance fondamentale de toute chose à former des
habitudes », un monde cyclique donc, il va de soi que l’alpha est l’oméga
car la boucle se ferme en revenant au point de départ. Il serait toutefois plus
juste de dire que l’alpha contient l’oméga, comme le père engendre un fils qui
lui est consubstantiel.
Quoi qu’il en soit, la question
est de savoir comment faire sens concrètement de considérations formelles qui
pourraient rester nébuleuses à force d’abstraction ? Si nous nous
disposons à l’idée que, comme l’affirmait Schopenhauer, la tâche n’est pas de
voir ce que personne n’a jamais vu mais de méditer comme personne sur ce que
tout le monde a sous les yeux, nous n’aurons pas à chercher bien loin : tout
est sous nos yeux, en effet, puisque tout provient du sacrifice et que tout y
ramène.
Que celui qui a des oreilles pour
entendre entende : le Christ n’a pas changé un iota à la loi, il l’a
accomplie. Autrement dit, la loi du monde est le sacrifice sans lequel il n’est
pas de réconciliation et le Christ l’a accomplie en venant librement à son
propre sacrifice. La réconciliation violente par le sacrifice d’un autre — serait-il la chair de sa
chair — devient
réconciliation non violente par le sacrifice de soi, le seul sacrifice qui
garantisse une sortie du cercle de la violence mimétique puisqu’il porte mimétiquement
chacun à une attitude de responsabilité (mise en cause de soi) plutôt qu’à
l’accusation de l’autre — la
diabolique étincelle de violence qui met le feu aux poudres.
Observons que ce mouvement
proprement christique de venue délibérée au sacrifice de soi a toujours été
présent depuis la fondation du monde puisqu’on le trouve dans la représentation
que se font les persécuteurs de leur « victime » considéré comme le
seul « agent » du processus sacrificiel. C’est ce pur mensonge — ce mythe fondateur qui
permettait aux persécuteurs de vivre en paix dans l’inconscience de leur
violence — que le
Christ est venu révéler... en l’accomplissant à la lettre, en en faisant ainsi une
vérité qui nous a libéré et du mensonge et de la violence tacite, en nous
renvoyant à notre responsabilité de persécuteurs au quotidien.
On peut ainsi penser que dans le
point alpha se trouvait toujours-déjà le point oméga. Le Christ l’a vu, l’a reconnu et
s’est soumis, en conscience, au processus de réconciliation violente qu’il a,
ce faisant, accompli, ouvrant l’ère de la réconciliation non violente, celle à
laquelle les hommes viennent, à sa suite, dans une volonté délibérée de se
consacrer au (se sacrifier pour) le bien de tous, pour la paix.
Il est aisé de comprendre que
face à un tel défi [5]
les hommes puissent hésiter. Les modernes, individualistes en diable, bien plus
encore que ceux du Moyen-Âge qui étaient souvent prêts à sacrifier leur vie
terrestre pour amasser « des trésors dans le Ciel ». Il semble qu’autant
qu’ils le peuvent, les hommes restent sourds au message évangélique et
s’efforcent de revenir à l’archaïque résolution sacrificielle de la violence
qui expulse la violence. Les « puissances de ce monde » diabolisent à
tour de bras, elles désignent « l’axe du mal », le « pacifient »
militairement, bâtissent mythes sur mythes mais, ainsi que nous l’explique
Girard, tout cela ne prends plus, la violence retombe sur nos têtes et continue
de se répandre. Satan n’est plus capable d’expulser Satan car la Révélation a
fait son œuvre. C’est pourquoi nous dit Girard, elle ne peut qu’amener à l’Apocalypse,
au sens où on l’entend traditionnellement.
A cela, une seule issue, nous le
savons : le retour du Messie, qui sera ce moment miraculeux où, enfin,
nous comprendrons, avec Rilke [6],
que le monstre terrifiant qu’est à nos yeux le sacrifice de soi nous montrera
son vrai visage lorsque nous aurons le courage de l’embrasser. Ce sera, bien
sûr, chacun l’a deviné, le visage de l’Amour, tant il est vrai que c’est lui
qui est là, présent depuis la fondation du monde, caché sous le masque du
sacrifice, sous le masque sacrificiel des victimes innombrables dont le sang a continuellement
cimenté ce monde.
Cette violence originelle, cette
violence perpétuelle, le Christ l’a rachetée par son sacrifice. Nous, les
humains, sommes pardonnés, mais encore faut-il le croire pour être sauvé. D’où
l’urgence qu’il y a à porter ce message aux quatres coins du monde : il n’y
a pas d’autre voie que l’Amour, le vrai, l’agapè, qui est sacrifice. De
sorte que l’alpha est bien l’oméga, et réciproquement.
[1] Biglino
dénombre ainsi quelques mille cinq cents versions possibles et plus ou moins
concurrentes de la Bible !
[2] Travail
proprement herméneutique qui se réalise spontanément et Hans Georg Gadamer
appelait « l’efficience de l’histoire ».
[4] La
« crise » engendrée par la violence mimétique qui met à bas toute
hiérarchie, toute barrière à la contagion mimétique... de la violence.
[5] Scandale
pour les juifs, folie pour les grecs
[6] Voir sa « Lettre
à un jeune poète ».
Le « miracle » des mathématiques me fait penser à du Bernardin de Saint-Pierre (« Le melon a été divisé en tranches par la nature, afin d'être mangé en famille ; la citrouille, étant plus grosse, peut être mangée avec les voisins. »). C’est le classique « Argument téléologique ou l'appel au dessein » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Arguments_sur_l'existence_de_Dieu#Argument_téléologique_ou_l'appel_au_dessein) à quoi s’oppose l’argument de la superfluité (https://fr.wikipedia.org/wiki/Arguments_sur_l'existence_de_Dieu#Argument_épistémique_:_l'argument_de_la_superfluité) et du « Dieu bouche-trou » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu_bouche-trou).
RépondreSupprimerEn quoi serait-il « miraculeux » que les abstractions mathématiques correspondent à la réalité concrète ? A ce que si je mets une carotte dans une assiette vide puis une autre, il y en ait deux, et que cela abstraitement représenté dans « 1+1=2 » ? Qu’y a-t-il de « miraculeux » à ce que la géométrie d’Euclide fonctionne, et que si elle ne fonctionne pas si bien que cela, sera utilisée celle de Lobachevski ou de Riemann pour des espaces courbés par la gravitation ?
C’est le même genre d’argument qui était utilisé pour la complexité de la vie (entraînant la régression à l’infinie quant au monde horloge de Voltaire et son horloger divin : qui alors est l’horloger de l’horloger ?), et qui a été affaibli par la biologie évolutive.
Le principe de parcimonie (ou rasoir d’Ockham, https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasoir_d'Ockham) n’est pas respecté. Nul besoin d’un « attracteur » tel le « Saint Esprit » pour l’« adoucissement des pratiques » : déjà Girard s’en passait pour expliquer l’évolution pacifique des sociétés non chrétiennes (sacrifices d’animaux autres qu’humains ; voir l’exemple par Luc Routeau du bouz-kaskî afghan dans Violence et Vérité, http://www.ccic-cerisy.asso.fr/girardTM85.html) ; et on peut même penser que la domination s’est faite pour les sociétés qui, plutôt que de multiplier les sacrifices humains de leurs membres (les Aztèques ?), ont extériorisé leur violence dans des guerres et des exterminations coloniales (voir Jared Diamond sur De l’inégalité parmi les sociétés, en particulier sur l’Europe « chrétienne » en Amérique. Il y a l’exemple marquant des 168 conquistadors avec leurs fusils massacrant des milliers d’Incas, après que le prêtre Vicente de Valverde, envoyé par Hernando Pizarro auprès de l'empereur inca Atahualpa afin d'« exiger au nom Dieu et du Roi d'Espagne qu'il se soumît à la loi de Notre Seigneur Jésus-Christ et au service de sa Majesté le Roi d'Espagne », lui enjoint de massacrer ces « chiens » lorsqu'Atahualpa rejette la Bible qu'il ne comprend pas, p. 101-102 https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Cajamarca, https://fr.wikipedia.org/wiki/De_l%27in%C3%A9galit%C3%A9_parmi_les_soci%C3%A9t%C3%A9s#Chapitre_3_:_%C2%AB_Collision_%C3%A0_Cajamarca_%C2%BB, http://lucadeparis.free.fr/index/diamond_inegalite.htm) ; et que des sociétés plus pacifiques, non chrétiennes, moins patriarcales, n’ont pu perdurer que parce qu’elles étaient isolées (comme les Na dans les contreforts de l’Himalaya : https://www.scienceshumaines.com/une-societe-sans-pere-ni-mari-les-na-de-chine_fr_9600.html sur la jalousie, http://www.crepegeorgette.com/2016/01/22/na-chine/ sur un très fort tabou de l’inceste ; ou comme aussi les Ikariotes s’isolant de la violence des pirates au centre de leur île, cf. « Zones bleues, les secrets de la longévité S1 : Grèce » sur Fance 5, vers 38mn).
Par qui, « Nous, les humains, sommes pardonnés » ? Qui renonce à se venger, ou à punir, ou à châtier ? Et sinon, quel aurait été la vengeance, la punition, le châtiment ?
RépondreSupprimerJ’ai l’impression que cet article, allusif quant à ce qu’il voudrait démontrer, ne confortera que les déjà convaincus.
En postscriptum, je ne résiste pas à citer le poème « Les conquérants de l’or » de José-Maria de Heredia :
« Le très savant et très miséricordieux
Moine dominicain Fray Vincent de Valverde
Qui, tremblant qu'à jamais leur âme ne se perde
Et pour l'éternité ne brûle dans l'Enfer,
Fit périr des milliers de païens par le fer
Et les autodafés et la hache et la corde,
Confiant que Jésus en sa miséricorde,
Doux rémunérateur de son pieux dessein,
Recevrait ces martyrs ignorants dans son sein. ».
Je découvre tes commentaires un peu tardivement à moins que ne les ayant refoulés de mon esprit, je les ai oubliés ? :-)
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, je comprends ton envie de réduire mon propos à une triviale pensée finaliste à la Bernardin de Saint Pierre mais je ne peux te suivre car je suis déjà en la matière Jean Piaget qui a longtemps disserté sur la miraculeuse correspondance entre la pensée et les choses.
Tu l'imagines bien, il était au fait des solutions apportées par l'évolutionnisme mais il n'en était pas dupe non plus.
Il a su poser le problème plus sérieusement que je ne l'ai fait et il ne se résoud à coup de carottes.
Le fait que la pensée puisse, via les mathématiques, élaborer des formes encore inconnues qui se révèleront ensuite comme modèles de processus physiques a bel et bien quelque chose de miraculeux qui appelle une explication qui va, encore une fois, au-delà du dénombrement de carottes. You see what I mean ?
Quant à ta participation a la grande accusation collective et déjà pluriséculaire contre l'Eglise, je pense que tu en connais toute la signification girardienne, je ne ferai donc pas de commentaire particulier, tu sais déjà ce que j'en pense.
Quoi qu'il en soit, je te remercie pour ces commentaires qui m'ont permis de réfléchir plus finement à ce que j'ai écris. Je n'ai pas encore les idées complètement en ordre, je vais donc tenter de les formuler pour y voir plus clair...
RépondreSupprimerJe vois dans ta référence au finalisme une forme de méprise. La métaphore des graines de l'esprit n'est pas de cet ordre (finalisme et donc intentionnalité de ce qui est présent) puisqu'elle est développementale en somme. Ce qui est avant est une préfiguration et non pas une forme finalisée puisque, justement, celle-ci viendra plus tard. Tu me suis ?
La réponse de Piaget ne m'a pas complètement satisfait quand je l'ai découverte il y a quelque décennies. Je voyais comme une facilité insupportable de renvoyer à une unité originelle de la pensée et de la chose sous le rapport de l'organisation qui les relie.
Maintenant, tout bien considéré, je trouve que le modèle des fractales de Mandelbrot illustre bien cela. L'autosimilarité est bien la conséquence d'une unité organisationnelle : tout l'ensemble est le produit d'une même dynamique créatrice, chaotique, semblable à la transformation du boulanger (étirement, repliement).
Bref, le miracle de la rencontre pensée (en logique) et chose ne peut pas être rabattu ou trivialisé par la référence au finalisme où la chose est expliquée par l'intention (et donc la représentation divine). Ici le constat est davantage naturaliste : c'est un fait qu'il y a une correspondance et elle est étonnante pour qui veut bien la considérer de manière non triviale. Même les "naturalistes" se doivent de l'expliquer.
Il devient alors intéressant pour les croyants de se servir de cette explication pour justifier les contradictions indépassables qu'on voudrait leur opposer.
On peut se foutre que le soleil reste caché trois jour en dessous de l'écliptique à l'equinoxe d'hiver. Cette observation que des religions passées ont pu intégrer dans leur conception ne suffit pas à réduire le message évangélique sur la Passion à de la fabulation. Nous pouvons être dans un grand tout où les phénomènes d'autosimilarité abondent... et nous guident.
Bon voilà, je m'en tiens là pour aujourd'hui.
Bon dimanche
Je ne vois toujours pas ce qui te semble miraculeux avec les mathématiques. Il y a d’abord une certaine adaptation à l’environnement. Ensuite elle n’est qu’à l’environnement utile. Si l’espace est courbe, par exemple, c’est à très grande échelle et cela ne nécessitait pas que nous pensions spontanément à autre chose qu’à un espace droit et infini. Kant n’y pensait pas, et c’est quelques génies des mathématiques qui ont imaginé qu’un espace puisse être courbe comme une surface.
SupprimerJe pense que tu trouves chez Piaget et ailleurs la capacité d’abstraction de l’esprit par l’assimilation (comme l’abstraction du nombre de carottes…).
Comme il y a l’unité du monde ou du cosmos, tout y est relié, et avec diverses résonances ; j’ignore ce que certaines autosimilarités te font inférer.
A l'évidence je n'ai pas su restituer le questionnement de Piaget qui, tu l'imagine bien, n'aurait pas été tel qu'il l'a formulé s'il disposait déjà de la solution de l'abstraction par assimilation. Piaget était non croyant dans l'apprentissage : il pensait que la pensée se développait en logique, nécessairement et les interactions avec le monde ne sont que des occasions d'engendrer des perturbations qu'il faut équilibrer. Donc le problème est comment il se fait que ce déploiement AUTONOME, en logique, viennent à rencontrer une réalité toujours-déjà là alors qu'il n'est pas censé s'être moulé sur elle. You see what I mean?
SupprimerJe ne vois toujours pas le problème.
SupprimerEn termes évolutionnistes darwiniens, si des organismes ont des "déploiements AUTONOMEs", qui ne "viennent [pas] à rencontrer une réalité toujours-déjà là", alors ils disparaissent, engendrent moins de descendants.
Où tu vas avec ça ? Tu comptes sur la sélection naturelle pour inventer les maths et l'ensemble de la culture humaine ?
SupprimerQuelque chose m'échappe...
Peux-tu m'éclairer sur ce que j'arrive pas à voir (ou ne veux pas voir ? ;-)) ?
Moi aussi, quelque chose m'échappe dans ce qui t'échappe et te semble miraculeux.
SupprimerJ'ai m'impression que je ne pourrais que répéter ce que j'ai déjà écrit, à propos de la construction mathématique sur des générations, augmentant les représentations pouvant être appliquées à diverses réalités.
Jusqu'à Kant, il était évident que l'espace était droit, car cela suffisait à notre adaptation.
Certains mathématiciens ont imaginé des espaces courbes. Ensuite, cela a été utile pour faire évoluer la physique avec des espaces déformés par la gravitation.
disons que sur ce coup, je me contente de suivre Piaget. Vergnaud 2001 résumait sa position ainsi :
Supprimer"Piaget a été impressionné par le fait que les mathématiques fournissent, sur la base, estime-t-il, du seul raisonnement formel, des théories qui se révèlent adéquates, après coup et de manière quasi miraculeuse, pour modéliser les phénomènes empiriques de la physique. On peut même considérer que cette distinction entre connaissance logiquo-mathématique et connaissance physique est dans certains ouvrages de Piaget, comme «l'introduction à l'épistémologie génétique », plus décisive encore que la référence à la biologie. "
Si je mentionne les géométries non euclidiennes, c'est justement parce qu'elles montrent que les mathématiques offrent une boîte à outils pour représenter la réalité physique, mais elles ne disent pas a priori quelle est la géométrie de l'espace réel, et donc quelle géométrie (quel outil) utiliser selon les observations faites, et le niveau de précision utile.
SupprimerIl a fallu des millénaires de mathématiques pour parvenir à élaborer les géométries non euclidiennes, raison de plus pour ne pas trouver cela miraculeux.
Je ne vois pas trop ce que la transpiration a à faire dans la réfutation du miraculeux.
SupprimerTu as un présupposé quelque part qui trivialise la question. Je ne vois pas trop où encore.
Fait l'effort de comprendre ce que Piaget peut avoir en tête et après fait nous une démonstration de son erreur.
Je doute que tu puisses le faire sur la base de l'historique de l'invention de la géométrie non euclidienne. Mais c'est juste une impression.
Je vois bien ici l'inconsistance de mon argumentation et ta "résistance" m'oblige à l'affiner.
Je t'en suis donc reconnaissant mais bon, cela ne change rien pour le moment à ma vision présente
J'ai donc relu la citation de Vergnaud, mais je ne vois rien qui me semble miraculeux, et je pense même que ce serait le contraire qui serait "miraculeux".
SupprimerVergnaud mentionne la connaissance logique, qui est utilisée en mathématiques (c'est un de ses principes).
La logique est l'ensemble des relations conditionnelles que des représentations puissent représenter une réalité (http://lucadeparis.free.fr/encyweb/29logique.htm). Si c'est une vérité (une représentation de la réalité) que les hommes sont mortels et que Socrate est un homme, il est vrai que Socrate est mortel.
Ensuite, qu'ajoutent les mathématiques? Des représentations abstraites, pouvant s'appliquer à des réalités concrètes.
Les premiers mathématiciens sont partis d'observations assez simples (comme avec l'addition, la multiplication, les figures géométriques), et leur travail leur a fait imaginer, déduire d'autres relations, construire d'autres objets, toujours en relation logique.
Enfin, il y a effectivement une différence de présupposés entre nous qui est encore informulé.
Cela me fait penser au débat entre Alain Connes et Jean-Pierre Changeux sur les mathématiques, dans Matière à penser, dont j'ai un vague souvenir, sur le réalisme, l'idéalisme ou le constructivisme des entités mathématiques (https://www.cairn.info/du-nouveau-sur-l-esprit--9782130451372-page-29.htm).
Ce que j'essaie de dire est assez simple mais je reconnais que je n'ai pas su le dire assez simplement pour que ça ne prête pas à équivoque.
RépondreSupprimerCe que je veux dire en somme c'est que le fait que l'Homme ait élaboré une représentation de la réalité (divine) en suivant une logique (mimétique) qui lui est propre n'est pas une raison pour s'interdire le saut de la foi qui consiste à tenir cette représentation pour vraie car nous faisons ça tout le temps dans le domaine de la science : nous élaborons un modèle en logique interne et découvrons qu'il a une validité externe, c'est-à-dire que nous le croyons capable de dire le réel.
Si je pouvais corriger ma formulation je dirais : "capable de décrire le réel".
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