dimanche 29 juin 2014

L'enfant libre

La question de la ferveur me paraît tellement importante qu'il me semble être seulement parvenu à son seuil avec le précédent post qui y était pourtant entièrement consacré.

Je voudrais tenter ici de l'aborder sous un autre angle, que je crois décisif, au sens où il s'agira de plonger au coeur de l'être, au coeur de ce qui fait les personnes que nous sommes, le "soi", que par le passé, avant l'avènement de la modernité laïque et scientiste, on appelait l'âme.

Il n'est pas utile que je m'efforce de clarifier ici l'entendement que l'on peut avoir de ces deux notions car c'est à la partie la plus prosaïque de la première que  je vais m'attacher et chacun la connaît suffisamment bien pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en donner un contour précis.

Je veux parler de l'ego que je propose de définir simplement comme le souci de soi. Ce souci s'étend à tout ce qui fait le soi, à savoir tout ce que pouvons déclarer nôtre, que cela soit matériel ou immatériel.

Suivant l'éducation qu'il a reçue, chacun de nous a été amené à accorder une importance plus ou moins grande à cette caractéristique essentielle du soi qu'est l'image qu'on donne de soi au point que, pour certains, le soi s'y réduit entièrement de sorte que l'anéantissement de l'image signifie l'anéantissement du soi, de la personne et donc de l'être.

C'est à bon droit que l'image de soi est devenue un concept clé de la psychologie car même si nous en avons pas suffisamment conscience en raison des vies écartelées que nous menons à toute allure et qui nous laissent un sentiment de dispersion et de dé-intégration, notre vie mentale est d'abord sociale et donc entièrement axée autour de l'image de soi entendue comme l'image de nous-même que nous percevons dans le regard et les jugements des autres.

Une part essentielle de l'ego en tant qu'il n'est que "souci de soi" consiste ainsi dans un souci de l'image que les autres ont de soi. Ce qui, au moins à l'origine, n'est pas à entendre comme simple souci de l'apparence mais comme besoin de donner de soi une image qui suscitera chez l'autre l'acceptation et l'amour plutôt que le rejet.

C'est donc le besoin d'être aimé que l'on peut reconnaître comme le principal moteur de l'ego. La chose pourrait choquer si l'on songe que ce dernier est probablement la principale source de la violence du monde.

Mais l'intérêt d'en venir à ce point de vue est d'abord de ne plus faire de l'égoisme une cause première. Il n'est que la manifestation de la peur fondamentale de l'anéantissement que susciterait le fait de se voir rejeté par l'autre ou les autres.

Une fois cette peur du rejet de l'autre identifiée, on peut et doit se demander comment le croyant s'y confronte lorsqu'il lui est demandé de se mettre en présence de Dieu, le grand Autre absolu.

En effet, la ferveur dans la prière ne tient-elle pas à la capacité à se mettre en présence de celui ou celle à qui la prière est destinée ? Peut-on adresser une prière sincère et vibrante à une lointaine abstraction céleste ? Cela semble impossible.

Mais comment oser se tenir en présence de l'Absolu et de l'Immaculé(e) alors qu'on se sent et se sait chargé de toutes les petitesses, les bassesses et les mesquineries voire les violences dont les humains tissent leur quotidien à force d'être mus à tout instant par l'ego donc la peur ?

Comment ne pas craindre de se trouver instantanément désintégré ? Comment avoir l'audace de se croire digne de venir à une telle présence pour prier et demander l'accomplissement de quelque voeu que ce soit ?

Il me semble que pour réaliser cela, il nous faut être animé par la confiance de l'enfant libre, celui qui se sait complètement aimé et qui croit sans l'ombre d'un doute que les fautes qu'il a pu commettre dans ses égarements passés lui sont pardonnées.

La conscience de cet amour au-delà de toute mesure dont chacun de nous fait l'objet amène un soulagement immense qui, en anéantissant la peur qui engendre l'ego, nous ramène à l'état de l'enfant libre. Celui-ci, confiant (car tous  besoins satisfaits et donc), plein de gratitude et donc d'amour pour sa Mère et son Père, se trouve, de fait, au paradis.

Voilà ce que, je crois, recouvre cette recommandation presque anodine qui nous est faite pour venir  à la prière : nous mettre en présence du Ciel.

Elle est essentielle, elle est cardinale, elle est la clé et si nous consentons à cette mise à nu, si nous consentons à redevenir l'enfant confiant et libre que nous portons en nous, nous voilà projetté au Paradis.

Et tout ça sur terre !
Elle est pas belle la vie ?

dimanche 15 juin 2014

De la souffrance...



S’il est une chose que la plupart d’entre nous refusent de manière véhémente, avec encore plus de force que pour la mort elle-même (à laquelle nous savons ne pouvoir échapper tôt ou tard), c’est bien la souffrance.
Dans ce qui suit, je voudrais faire le lien entre souffrance et sacrifice de soi pour tenter d'amener une compréhension moins univoque.

Mon point de départ sera le désir de toute puissance auquel nul humain n'est complètement étranger dès lors que chacun d'entre nous est, en quelque sorte, une population ou un écoystème  d’habitudes qui — ainsi que l’affirmait le psychologue suisse Jean Piaget, avec raison, je crois —  tentent, chacune à sa manière de s’assimiler tout l’univers, c’est-à-dire, tentent de s’en saisir, de l’ingérer, de le dévorer, bref, de le faire sien.
Cette volonté de puissance s’observe dès les tous  premiers stades de développement avec monsieur bébé qui explore le monde en suçant tout ce qui passe à portée de main et elle a été traduite de manière savoureuse par l’idée de Mark Twain selon laquelle « pour l’homme qui tient un marteau, tout ressemble un clou. »
Ce qu'il y a à retenir ici c'est que notre pulsion d’emprise congénitale ne connaît pas de limite a priori et les enfants d’aujourd’hui le font bien savoir à leur parents, trop souvent démunis faute de savoir ce que veut dire éduquer.

La raison de tout cela est que notre puissance, cad, l'emprise dont nous sommes capables, constitue un """contrôle""" sur le monde et les êtres environnants qui s'avère être notre principale source de plaisir et de réassurance ne serait-ce parce qu'il se manifeste souvent par ce que nous appelons la réussite. Rien ne nous rend plus heureux et ne nous donne davantage confiance en nous-même que cela, le "contrôle" —  à entendre simplement comme le fait d'avoir ce que l’on veut, voir se réaliser ce que l’on anticipait, désirait, attendait, recherchait plus ou moins activement, etc.

On peut penser que toutes nos jouissances terrestres viennent de l’appariemment ou de la plus ou moins grande correspondance entre la représentation du but vers lequel nous tendons et la perception de la réalité.
L’hypothèse qui vient ici assez naturellement est que toute notre souffrance découle de l’absence ou seulement de l’insuffisance de cette correspondance.

Lorsque nous espérons un délectable banquet et que l’on nous offre un bout de pain rassis, nous souffrons de cette attente déçue non seulement à cause des plaisirs de la bouche qui nous manqueront mais aussi à cause de l’offense que nous percevons dans ce qui, sauf cas de force majeure, ne peut plus être considéré comme un don.

99,9 % de notre vie se joue dans cet entre-deux, dans cet espace plus ou moins grand entre nos attentes, nos espérances, nos buts, nos projets, nos désirs, et ce qui, en définitive, du  monde, vient à nous.
Plus la conformité à nos attentes se vérifie, plus nous sommes dans la plénitude, plus nous connaissons le bonheur jusqu'à être aux anges !

Plus nos attentes sont trompées, décues, et plus nous allons vers la souffrance.

Cette dynamique se joue à des niveaux très élémentaires comme le confort physique, la santé ou la sécurité alimentaire. S’ils font défaut, la douleur engendrée peut être extrême car l’attente est ici portée par ce qu’il y a de plus puissant en nous : l’instinct de survie.
Qu’elle soit physique ou morale, la souffrance fait peur, soit que nous l’ayons connue, soit que nous en ayons observé les effets sur d'autres.
Et l’horreur, c’est, bien sûr, quand elle s’installe dans notre vie, dans notre présent.
L’horreur, c’est quand vient à nous ce qu’on ne veut pas, c’est quand s’impose à nous ce que l’on refuse, c’est quand il nous faut consentir à ce qui n’est pas acceptable et qui peut concerner un être cher autant que nous-mêmes.

Observons au passage que « ne pas avoir ce que l’on veut » est tout à fait neutre étant donné que cette situation est ouverte et peut évoluer aussi bien vers le négatif que vers le positif dès lors qu’elle s’inscrit dans la temporalité, dans un devenir.
Par exemple, alors qu’on n’a pas encore mangé on peut être heureux de simplement savoir que l’on se mettra bientôt à table car on est alors confiant dans le fait d’obtenir ce que l’on désire : un bon repas.
Le fait est que l’usage nous porte à dire « bon appétit » et non pas « bonne réplétion » !

Conclusion (un peu hâtive, je le reconnais mais je ne veux pas faire trop long) :
1)    on peut penser que la souffrance vient quand, faute de congruence entre notre attente et notre perception de la réalité, nous sommes amenés à dire NON à l’univers, NON à ce qu’il nous offre, NON à ce qui se présente à nous comme un inacceptable présent, NON à ce que nous ne voulons pas croire comme nous étant destiné, comme étant un destin injuste qui nous fait violence.
2)    A l’inverse, nous pouvons concevoir que la joie vient quand  il y a congruence entre nos anticipations et nos perceptions de sorte que nous pouvons dire OUI à ce que l’univers nous offre.

Observons à présent que, autant le NON nous met à distance et nous isole de cet univers que nous refusons, autant le OUI nous unit à lui et peut, à l’extrême nous amener à cette conscience océanique qui traduit l’état d’abandon complet au monde tel qui l’est.

J’imagine que vous voyez où je veux en venir : si la joie dépend de la conformité de nos attentes à nos perceptions, se pourrait-il alors que nous ayons le pouvoir de l’engendrer en simplement consentant à ce qui s’offre à nous ? Se pourrait-il que la joie dépende de notre volonté, de notre consentement, de notre « soumission » ou, mieux, de notre abandon, à la vie qui s’offre à nous ?

La joie ne pourrait-elle alors venir même d’une souffrance consentie ? Une souffrance que l’on s’imposerait à soi-même parce que cela aurait du sens, c’est-à-dire, parce que cela nous permettrait de réaliser la plénitude d’une attente encore plus forte que la première ?

Il y a presque là une banalité. En effet, nous connaissons tous le fameux "il faut souffrir  pour être belle". Nous savons aussi pour  la plupart que le mot "travail" renvoie étymologiquement au tripalium, vieil instrument de torture. Bref, l'idée que si on veut du résultat, il faut accepter de souffrir est depuis longtemps inscrite dans notre culture judéo-chrétienne. No pain, no gain disent les anglo-saxons.

Là où cela devient plus intéressant, c'est que nous pouvons y reconnaître aussi l’agapé, cet amour chrétien par excellence qu’est, par exemple, l’amour des parents pour une progéniture à laquelle ils sont disposés à tout sacrifier, y compris leur propre vie.

Je vais m’arrêter sur cette piste avec le projet d’y revenir très bientôt, la semaine prochaine si possible, pour aller au  bout de l’idée qu’une issue possible et probablement désirable au problème de la souffrance pourrait bel et bien passer par cet abandon maximal, ce (t aban)don de soi, ce sacrifice cardinal qu’on appelle l’amour.