Alors que je me désespérais de tant tarder à revenir sur ce blog, un ami m'en a offert l'occasion avec ce message :
"Marion Sigaud (proche d'Egalité et Réconciliation), qui était à la soirée des Citoyens Constituants, nous a appris au bistro où nous étions après avec Étienne Chouard, que dans le "Notre Père" qui fait ton pain quotidien spirituel, que "Pardonne-nous nos offenses" est une traduction erronée, et qu'en fait c'est "Délivre-nous de nos dettes".La chose m'importe car depuis deux ou trois ans, je réfléchis à l'hypothèse d'une origine sacrificielle de la monnaie (cf. le livre girardien d'Aglietta & Orléan "La violence de la monnaie") et la question de la dette y est cardinale.
J'ai trouvé:
http://www.pierredelauzun.com/Le-Notre-Pere-offenses-a-pardonner.html
Il y a, en effet, toutes raisons de penser que la dette a existé bien avant ce que nous reconnaissons comme monnaie et qu'elle en a constitué le terreau.
La forme la plus archaïque de la dette pourrait avoir été celle des sacrifices auquels les humains s'adonnaient dans leurs pratiques religieuses (il semble que les temples mésopotamiens étaient de véritables entrepôts dans lesquelles les scribes tenaient des comptabilités très précises des marchandises apportées pour les sacrifices et qu'ils étaient (si j'ai bien compris) susceptibles de prêter ! Le blé, l'orge, le bétail a pu, ainsi, faire, dès les origines, office de monnaie).
Je suis encore bien loin d'un tableau cohérent sur la question, mais l'excellent livre de David Graeber "Debt: the first 5000 years" m'a néanmoins permis de faire quelques liens assez renversants pour le complet naïf que j'étais en la matière.
Faire de la dette un des liens primordiaux des humains avec le Ciel et entre eux est en effet terriblement éclairant sur les mots que nous employons régulièrement sans plus entendre leur charge de signification.
Outre offense qui peut se traduire par dette, on doit noter que la notion de rédemption est aussi une boîte de Pandore qui ouvre sur la dette. En droit, le rédempteur est celui qui rachète la dette. Remplacez dette par péché et vous comprenez pourquoi le Christ est rédempteur : il redime, c'est-à-dire qu'il "rachète une obligation par le versement d'une contribution" (cf. le CNRTL).
Même si on l'entendait comme simplement métaphorique, ce vocabulaire "marchand" pourrait surprendre voire choquer dès lors qu'on se tient là dans le saint des saints de la foi chrétienne, à savoir le rachat du genre humain par le sacrifice du Christ. Il n'est pourtant ni métaphorique ni, bien sûr, hors de propos.
C'est au sens littéral que nous avons à comprendre la notion de rachat et Graeber le démontre avec un fait tout simple et tellement éloquent : la première évocation historique de la "liberté" s'est faite dans le contexte du "rachat" généralisé des dettes privées régulièrement décrété par les premiers rois de Mésopotamie (cf. le chapitre 3 du livre de Graeber disponible ici). Ainsi, amargi le plus ancien mot de tous les langages humains qui veut dire "liberté" a la signification littérale de "retour à la mère", sous entendu des filles et fils placés en esclavage (en gage et remboursement des dettes des parents).
Bon, restons en là pour le moment et revenons à la question du péché.
Je l'aborde dans la réponse au mèl de mon ami que j'ai fait ensuite circuler autour de moi.
La voici ci-dessous verbatim, et comme il faut savoir faire court, je m'en tiendrai là pour aujourd'hui.
* * *
Je connaissais ça depuis que j'ai lu David Garber et Richard Seaford sur l'origine de la monnaie et sur l'antériorité de la dette sur toute monnaie parce qu'elle est toujours déjà ancrée dans le sacrifice, donc le religieux.
La vision de Lauzun [cf. le lien donné dans la citation initiale] me paraît correcte sur l'essentiel mais je la trouve bien courte.
A mon sens, il ne va pas au fond des choses, disons qu'il ne parvient pas à les poser.
En très bref, tel que je le comprends, dans le contexte de la religion chrétienne, il nous est avant tout demandé de reconnaître (vois le lien avec l'assimilation) tout ce que nous avons reçu et, partant, d'être pleins de gratitude.
C'est comme cela que, je crois, on doit comprendre l'impératif (paradoxal) du "tu aimeras ton Dieu...".
Là est notre devoir : la mise en acte de la loi de réciprocité (mimétique toujours) qui nous fait devoir de donner ce que nous pouvons donner en retour et qui est, pour le strict minimum, une reconnaissance (de dette), donc une (conscience) attention à ce qui nous a été donné d'où (tout naturellement, comme chez les enfants) naît une gratitude (amour) pour celui qui est à l'origine du don.
Ce que Lauzun décrit assez bien mais sans savoir ce qu'il dit c'est ce cercle vertueux de la gratitude (donc la foi (le crédit) dans la réalité des bienfaits reçus comme dons et donc dans la réalité d'un donneur) qui, prophétie auto-réalisatrice ou réaction circulaire oblige, amène toujours davantage de bienfaits (grâces) (cf. l'effet Mathieu).
Ceux qui, comme les pharisiens, prétendent s'acquitter de leur dette par une scrupuleuse comptabilité sont dans l'erreur, dans l'hubris de la prétention à l'indépendance affirmée par le refus de reconnaître le caractère complètement non "remboursable" des dons qui nous sont fait par et dans la vie. Ils prétendent donc se dispenser du devoir d'aimer Dieu. Là est, je crois, la faute absolue.
Nous pouvons terminer sur ce point : le péché originel peut se comprendre non comme culpabilité originelle mais comme état de récipiendaire d'un don à tout jamais non remboursable qui, si nous savons le reconnaître (et nous devons le reconnaître) doit nous placer en état de gratitude (amour premier, fondamental, celui de l'enfant pour ses parents, la fameuse "reconnaissance du ventre") éternelle vis-à-vis du donneur.
Il faudrait que je fasse un article agoravox sur le sujet je crois.
Qu'en penses-tu ?
Bonjour !
RépondreSupprimerAprès une longue absence, je remets le pied à l'étrier, je vais essayer de reprendre les post 1 à 1 en commençant par celui-ci...
Je trouve très intéressante cette approche qui met en correspondance la notion de dette avec le péché, je trouve le raisonnement clair et éloquent. Je dirai pour moi j'ai envie de compléter cette approche réside dans l'idée que le fait d'être créature à qui le créateur a tout donné ne nous place pas d'emblée dans un état de débiteur (je parle avant la chute) car Dieu est Amour et ce don de Dieu est gratuit. Cependant le péché devient dette et nous place en tant que débiteur du fait que par le péché originel Eve renonce au Don et à la gratuité pour "prendre" en suivant une volonté propre qui ne correspond plus a celle du créateur. Du coup on se met a devoir à Dieu tout ce qu'il nous a donné.
Et l'Amour ouvre alors le chemin de la grâce ou l'instrument de la chute peut devenir instrument de Salut : par la rédemption c'est à dire comme tu l'as précisé "la remise de la dette", la volonté de la créature aidée par la grâce peut (parce que le créateur l'a permis) effectuer le mouvement inverse du péché originel : se conformer à la volonté du Père. Or le plus incroyable c'est que ce n'est même pas la réussite absolue de cette entreprise qui en garantira le résultat, mais simplement le désir de la réussir et les efforts pour la concrétiser. "Celui qui croit en moi aura la vie éternelle".
Et là j'ai envie de contempler le rédempteur dan sa mission et l'impact sur la dette, en réalité, si je suis le raisonnement de départ, j'ai envie de dire que la rédemption a infiniment augmentée la dette car après nous avoir tout donné une première fois, il s'est donné lui même, lui qui est bien plus que "tout" qu'on pourrait résumé par le créé, or lui est l'incréé...
Une autre notion que là je vois la dette implicitement introduire, c'est celle de la justice... à un moment viendra le temps de faire les comptes, comme en Mathieu 5,26 :"Je te le dis en vérité, tu n'en sortiras pas avant d'avoir remboursé jusqu'au dernier centime" ainsi la dette confirme le jugement.
Pour conclure je dirai que malgré cette "mécanique" d'apparence implacable, une chose essentielle est toujours respectée : la liberté de chacun, mais des choix (donc de la volonté que je ramène à la volonté de Dieu où à ma volonté propre) vont ensuite découler le reste :
être débiteur, qui revient à "vivre sous l'emprise de la chair", être sous le coup de la loi, et donc du jugement.
être en Dieu, qui ne se doit rien à lui même, c'est "vivre selon la foi", et connaitre la miséricorde, celle là même "qui se moque du jugement".
"Mais alors qui donc peut être sauvé? Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible..."
Je trouve ta tentative de rapprochement intéressante car, c'est vrai, je ne me suis pas attardé sur la question pourtant cardinale de la volonté de l'homme et de l'abandon (volontaire) de sa volonté pour se soumettre à la volonté divine. Je ne suis pas convaincu de déboucher sur quelque chose de parfaitement cohérent avec la logique de la dette, mais je vais y réfléchir...
RépondreSupprimerJe te tiens au courant...
SupprimerAlors j'ai moi même un peu réfléchi à la question, je ne sais pas non plus is je vais arriver à quelque chose de cohérent, mais étant donné que la source de ma réflexion se trouve dans le Notre Père aussi, voyons où ça peut mener.
RépondreSupprimerAlors comme tu le dis toi même il faut s'attarder sur la question cardinale de la volonté de l'homme et je dirai que le Pater nous le confirme fortement...
En effet, si on considère que dans la prière que Jésus nous demande d'adresser au Père, les premiers éléments constitutifs sont :
que ton Nom soit sanctifié > il est primordial de respecter le Nom de Dieu... par crainte du châtiment? Non par amour, et il n'y a pas d'Amour si celui ci n'est pas un acte libre de la Volonté.
que ton règne vienne > place d'emblée le chrétien dans l’espérance d'une promesse, promesse qui devient le pilier de sa foi, foi qui ne se maintient dans la vie du chrétien par des efforts violents de volonté et le soutien de la grâce divine.
que ta volonté soit faite> d'emblée la question de la volonté est présentée : celle du créateur, qui est présentée comme une posture à adopter car cela sous entend "je veux... que ta volonté sois faite" c'est à dire une libre soumission à une volonté qui est extérieure à la notre. La vierge Marie s'est elle même soumise à cette volonté dans son "Fiat", et le Christ, cette volonté l'a conduit sur la Croix. Cette volonté devient de fait une condition du Salut.
- comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé / comme nous remettons à nos débiteurs : c'est encore la volonté qui est sollicitée, car l'acte doit être accompagné de la volonté pour être valide ou validé...
- ne nous laisse pas succomber ... une lutte continuelle de la volonté pour s'opposer à la tentation, qui lorsqu'on y succombe nous soustrait à la volonté divine pour n'exercer que la notre. c'est le péché finalement : exercer une volonté divergente ou opposée au Divin.
Au final le Pater est grandement focalisé sur la question de la volonté.
L'idée qui me vient concernant le rapport à la dette, mon inspiration me porte sur la parabole du fils prodigue : l'enfant qui prend son héritage pour aller vivre loin de son père.
la séparation d'avec le père est un acte volontaire, le problème est que "créa l'homme à son image" et de fait quand on part, on le fait avec quelque chose qui lui appartient... nous même étant crée par / de lui.
Or cet héritage nous revient de droit comme le fait remarquer le père au bon fils "tout ce qui est à moi est à toi", parce que le père l'a voulu ainsi.
On voit que la dette est liée uniquement au péché, c'est à dire à la séparation. Comme le péché nait de la volonté de l'Homme d'agir sans "consulter" la volonté divine (rendu possible par la liberté), l'état de débiteur et de pêcheur sont un seul et même état découlant d'un choix posé par une volonté libre.
Partir avec son héritage (avec la certitude de la ruine) où rester et jouir de tout ce que le Père partage avec nous, voilà le choix, mais ce choix est plus difficile qu'il en a l'air car dans ce choix se joue un drame apparent pour notre ego : accepter de perdre la seule chose qui nous appartient réellement : la liberté de choisir, c'est à dire pouvoir exercer notre volonté propre pour dire "que ta volonté soit faite". Et de ce choix va découler un état inéluctable : copropriétaire ou éternel débiteur...
"celui qui n'est pas avec moi est contre moi"...
j'ai suivi le fil de mes pensées, je ne suis pas un as de l'argumentation claire malheureusement...
Mais c'est néanmoins un exercice qui me plaît.. :)